- ÉTATS-UNIS - Théâtre et cinéma contemporains
- ÉTATS-UNIS - Théâtre et cinéma contemporainsL’activité théâtrale aux États-Unis a connu un essor sans précédent durant les dernières décennies. Cette activité s’est organisée selon deux grands courants émanant de deux conceptions différentes du théâtre. Il existe, d’une part, un théâtre officiel, commercial, qui présente ses spectacles ou ses divertissements sur les scènes institutionnalisées, comme celle de Broadway ou d’off Broadway ; d’autre part, un théâtre plus marginal, dont l’existence est plus précaire et plus éphémère, mais dont les expériences ont totalement renouvelé l’acte théâtral.À la fin des années soixante, la disparition des derniers «nababs», les échecs retentissants de certaines superproductions (de Cléopâtre à La Bible ) et une chute apparemment irréversible de la fréquentation des salles firent présager à certains la mort de Hollywood, victime d’une politique de surinvestissement aussi extravagante que ruineuse. C’était méconnaître la plasticité du cinéma américain et sa faculté d’adaptation à toute situation nouvelle. Dès 1972, l’industrie s’était ressaisie. Reconnaissant que son public familial traditionnel s’était reporté sur la télévision, elle entreprit de conquérir les nouveaux cinéphiles (les moins de trente ans représentant plus de la moitié du marché intérieur) et accessoirement les couches de la population jusque-là négligées, comme la communauté noire ou les Italo-Américains, les diverses minorités raciales, ethniques, religieuses, ou même sexuelles. À ce public neuf il fallait offrir des produits moins conformistes, plus proches de la réalité, à la mesure de la crise morale que traversait la nation tout entière. C’est ainsi qu’à l’ère du gâchis et de l’ostentation succéda celle des remises en question.Le théâtre américainLe théâtre officielLe théâtre officiel s’est considérablement développé depuis la Seconde Guerre mondiale, mais vit paradoxalement un état de crise permanent. Des efforts remarquables ont été faits pour multiplier les institutions, ouvrir de nouveaux théâtres et développer la vie théâtrale dans l’ensemble du pays, grâce à l’action d’organisations déjà anciennes comme l’American National Theatre and Academy (A.N.T.A.), l’American Educational Theatre Association, le Theatre Communication Group. Une lutte a été menée contre l’hégémonie de Broadway. La politique de décentralisation adoptée par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, l’aide apportée par le mécénat, la philanthropie et les associations Rockefeller et Ford ont permis l’essor du théâtre régional, communautaire et universitaire, disposant parfois d’un équipement très moderne. Parmi ces nouveaux théâtres, il faut citer le Loeb Drama Center de Harvard, l’école de Yale, le Contemporary Theatre de Pittsburgh, le Tyronne Guthrie Theatre à Minneapolis. La plupart des villes américaines ont été ainsi dotées d’un théâtre.Cette expansion n’a pourtant pas changé fondamentalement la situation théâtrale telle qu’elle s’était peu à peu institutionnalisée dans les années quarante. L’industrie théâtrale impose des lois qui menacent constamment la vie des petits théâtres: celles du rendement et du vedettariat, entre autres. Après avoir reçu des subsides souvent énormes lors de leur création, les théâtres se trouvent ensuite face à des difficultés parfois considérables. La concurrence est souvent impitoyable. Enfin, dans l’ensemble de l’activité culturelle, le théâtre est considéré comme un parasite, un parent pauvre, voire une survivance. Si la crise actuelle du théâtre aux États-Unis ressemble à celle que connaît le théâtre dans le monde entier, elle y prend un caractère plus aigu et plus extrême.New York reste la capitale théâtrale, lieu de création et de consécration, et ce monopole, préjudiciable au développement du théâtre et à l’autonomie des artistes et des groupes qui se sont implantés ailleurs, sera difficile à briser. De même que l’industrie cinématograpiique s’est concentrée à Hollywood, c’est à New York que s’est fixée l’industrie théâtrale, imposant ses lois de fonctionnement, sa rhétorique, ses critères artistiques à l’ensemble du pays. Le théâtre de Broadway, qui se veut un théâtre riche, est un théâtre onéreux, dont les coûts d’exploitation et de production, comme le prix des places, n’ont cessé d’augmenter. Toujours préoccupé de rendement, il donne la préférence aux formes de spectacles les plus lucratives, comme la comédie musicale, ou aux parodies divertissantes qui se moquent aimablement de la société américaine et des sciences à la mode.Off Broadway , créé en 1945 en réaction contre ce système, se trouve soumis aux mêmes lois, mais dans une situation plus précaire encore. Sur le plan de la production artistique, cependant, off Broadway a présenté un répertoire beaucoup plus riche et diversifié. Dans ses théâtres ont été lancés de nouveaux auteurs, tels L. Jones, A. Kopit ou J. Gelber et plus récemment Sam Shepard et Maria Irene Fornés, montées les pièces d’avant-garde (celles de Ghelderode, de Genet, de Ionesco, de Beckett, de Brecht, de Pinter et d’Arden), grâce aux initiatives de producteurs et d’animateurs pleins de talent, comme Julie Bovasso, Alan Schneider ou Jose Quintero. Ellen Stewart et Joe Papp (La Mama et le Public Theatre) et Harvey Lichtenstein (Brooklyn Academy of Music).Les productions d’off Broadway n’arrivent cependant pas à rivaliser avec celles plus prestigieuses de Broadway, et se trouvent plus que jamais soumises aux lois du marché théâtral américain. L’exemple du Living Theatre est à ce titre révélateur. Après avoir pendant douze ans présenté au public new-yorkais un répertoire très varié, et tenté des expériences destinées à renouveler l’acte théâtral, le Living fut contraint de fermer ses portes. L’exil lui apparut comme la seule solution possible pour rester un théâtre vivant. D’autres compagnies ont souffert des limitations imposées par le «système» et continuent de lutter pour préserver leur autonomie artistique et leur vitalité.La création du Lincoln Center a renforcé le nombre des théâtres officiels et apparaît surtout comme une opération de prestige visant à créer un théâtre national comparable à la Comédie-Française. Le Lincoln possède depuis 1965 une somptueuse salle conçue par Eero Saarinen et Jo Mielzinec, le Vivian Beaumont. Dirigé successivement par Elia Kazan, Robert Whitehood, Herbert Blau et Jules Irving, le Lincoln n’est pas parvenu à créer une institution théâtrale vraiment nouvelle, faute peut-être de s’être donné une politique culturelle rigoureuse.Les scènes parallèlesEn face du théâtre établi, qui manifeste toujours la même vitalité, malgré les difficultés qu’il rencontre périodiquement, il existe un autre théâtre, plus expérimental et marginal. C’est à cette «scène parallèle» que l’Amérique doit ses productions les plus originales et les plus créatrices. Depuis le début des années soixante, off-off Broadway , créé pour échapper aux pressions du professionnalisme, lance un défi aux lois du marché culturel en montant, avec de petits moyens, des spectacles présentés dans des lieux divers (cafés, églises, galleries ou stades). Ce mouvement off-off ne s’est pas manifesté uniquement à New York, mais dans d’autres villes comme Chicago, où Paul Sills et David Sheperd ont lancé un théâtre, The Second City, fondé sur l’improvisation et sur la participation du public.C’est à ce désir de renouvellement qu’on a dû, dès 1952, l’apparition des happenings inspirés du zen, des théories du dadaïsme et de celles d’Artaud, créés avec la participation de peintres (Kaprow, Rauschenberg), de sculpteurs (Oldenburg), de musiciens (Cage, Tudor), de poètes (Richards et Olsen) et de chorégraphes (Cunningham). Avec les happenings, les frontières entre théâtre et société, entre art et vie s’effondrent. Une action théâtrale, bouleversant conventions et usages, s’élabore autour de concepts nouveaux, celui d’événement et celui de performance où fusionnent diverses pratiques artistiques.Ce théâtre hors théâtre investit des lieux de plus en plus divers et le mouvement s’intensifie dans les années soixante, pendant toute cette période où l’Amérique est secouée par de multiples bouleversements. Des expériences sont menées qui remettent simultanément en question le rôle du théâtre dans la société, le système dans lequel le théâtre «officiel» fonctionne, les images et les mythes auxquels il souscrit et les formes dramatiques traditionnelles. Le théâtre part à la recherche de modèles culturels et de modes de communication nouveaux. Il se tourne non seulement vers l’Europe – notamment vers le théâtre russe, polonais, allemand et italien – mais vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine. Ces nouveaux contacts, et l’éclectisme qui va marquer la production théâtrale, seront le fait non seulement de la curiosité manifestée par quelques innovateurs, mais de l’intérêt croissant pour la pluriethnicité, pour les pays et cultures d’où sont venus les différents groupes d’immigrants qui composent la nation américaine.Le théâtre politiquePendant toutes ces années de mutations profondes, le théâtre devient à la fois une arme et un champ de recherche. On assiste tout d’abord à la réapparition d’un théâtre politique, animé d’un esprit qui rappelle celui du théâtre fédéral pendant les «années ferventes» (1937-1939). Le théâtre est un instrument de réflexion, d’analyse, de prise de conscience et de revendication. Différents mouvements radicaux, et parmi eux les groupes ethniques, utilisent le théâtre comme moyen de propagande et d’agitation. C’est ainsi que Ronny Davis lance l’idée d’un théâtre de guérilla et LeRoi Jones, celle d’un théâtre noir révolutionnaire; en Californie, un théâtre chicano se crée pour soutenir la grève lancée par les syndicats mexico-américains, le Teatro Campesino, animé par Luis Valdez. Des pièces sont écrites pour s’attaquer à l’institution militaire (The Brig ), à l’intervention au Vietnam (Viet Rock ), à l’appareil du pouvoir et à ses desseins génocidaires (The Death of Malcolm X ). Le théâtre fait éclater ses murs et va dans la rue. La San Francisco Mime Troupe présente ses sketches dans les parcs et les rues. Les comédiens du Campesino parcourent les campagnes, ceux du Théâtre libre du Sud s’associent aux actions du Mouvement des droits civiques, puis s’implantent dans un quartier noir de La Nouvelle-Orléans. À New York, les théâtres noirs se multiplient, et le Gut Theatre s’organise autour d’Enrico Vargas dans les quartiers portoricains. Le théâtre gagne ainsi les milieux populaires, les campagnes de l’Ouest et du Sud et les ghettos des villes. Il s’adresse en premier lieu à ceux qui ont été tenus à l’écart de la vie politique et culturelle de la nation, leur apportant à la fois une réflexion sur leur condition et sur la société dans laquelle ils vivent, et une expérience théâtrale qu’ils n’avaient jamais pu connaître. Pour les communautés ethniques qui participent à ce grand mouvement de création dramatique, le théâtre offre ainsi un moyen de retrouver une atmosphère de fête, de renouer avec certaines traditions culturelles de leurs pays d’origine, d’affirmer leur singularité, leur identité et leur droit à la différence.Si le théâtre politique des années soixante appartient désormais à l’histoire, le théâtre ethnique, lui, s’est développé et même institutionnalisé; des compagnies se sont créées, un répertoire s’est constitué. Théâtres noir et chicano ont trouvé, dans l’exploration systématique de leur héritage culturel, les éléments propres à un renouvellement de l’acte théâtral, et à une redéfinition du rôle du public. Le théâtre n’est pas seulement le lieu de recherche d’une identité et le lieu de représentation de cette quête, mais aussi le lieu d’élaboration de formes dramatiques et de pratiques théâtrales nouvelles s’opposant aux modèles offerts par la culture dominante. Le retour vers le passé, l’évocation des grands moments épiques de leur histoire permettent à ces minorités de suggérer un avenir différent de celui que propose l’Amérique.Aujourd’hui, il semble impossible de parler théâtre américain sans rendre compte de tout le travail accompli par les théâtres yiddish, afro-américain, hispanique, amérindien, asiatique. On assiste d’ailleurs à la tentative de réintégration de ces théâtres, au départ considérés comme subversifs et marginaux. Une partie de leurs animateurs ont accepté de rendre leurs armes et de se servir de l’appareil offert par les institutions les plus prestigieuses: le théâtre noir a partiellement pris la voie de Broadway, ses dramaturges sont intégrés à de grands théâtres ou à des universités comme writers in residence , des compagnies (comme le Negro Ensemble) figurent parmi les mieux connues d’off Broadway . Certains artistes cependant demeurent fidèles à leur projet initial et à leur communauté.La recherche théâtraleSi les animateurs de théâtre ont pendant quelques années choisi l’engagement dans l’actualité et la subversion, ils n’ont jamais perdu de vue la recherche théâtrale. Un travail incessant a été mené pour renouveler les structures dramatiques, le jeu des comédiens et le rapport entre scène et salle, et pour repenser la fonction de l’art dans la société.Les tentatives les plus audacieuses ont été menées par le Living Theatre. La plupart de ses productions furent créées en Europe, où le Living s’est exilé après le procès qui lui fut intenté en 1965. Après un bref retour aux États-Unis en 1968, ayant perdu tout espoir de réaliser la révolution dont ils avaient rêvé, les membres du Living se séparent en 1970. Les Beck choisirent les favelas du Brésil pour poursuivre leur travail et ébaucher de nouveaux projets (The Legacy of Cain ), jusqu’à la mort de Julian Beck en 1985.Le Living a contribué à faire du théâtre un acte politique et un geste sacré. Pour Peter Schumann et le Bread and Puppet, le théâtre est aussi une forme de religion, un lieu de rencontre, d’extase et de communion. À l’aide de marionnettes construites de façon artisanale, mais avec des techniques fort ingénieuses, le théâtre symbolique de Peter Schumann reproduit les grands mythes de l’humanité: Genèse, Crucifixion, Apocalypse, le geste, la voix prêtent de l’expression aux masques. Chaque spectacle présente une fable simple à travers des tableaux-images très composés: Fire et The Cry of the People for Meat (1968) au récent Jeanne d’Arc (1976), Schumann continue ses recherches dans le Vermont et propose encore ses parades et spectacles dans les rues et églises de New York.Il serait difficile de rendre compte du travail de tous les groupes d’avant-garde qui existent actuellement aux États-Unis. Il faut se borner à citer quelques noms: le Performance Group de Richard Schechner (Dionysos 69 ) devenu le Worcester Group animé par Elizabeth Lecompte; l’Open Theatre fondé par Joe Chaikin, les Mabou Mimes de Lee Breuer; le Manhattan Project d’André Gregory, le Theatre of the Ridiculous de John Vaccaro; les innombrables théâtres noirs, parmi lesquels le Théâtre libre du Sud, le Nouveau Théâtre fédéral, le Théâtre national noir et le New Lafayette, avec comme animateurs John O’Neal, Woodie King, Barbara Ann Teer, Robert Macbeth.Les voies de la création théâtrale se sont profondément modifiées depuis 1970. Des groupes célèbres et actifs dans les années soixante ont disparu. D’autres groupes ou artistes sont apparus, proposant des expériences plus isolées, de plus en plus excentriques et éclectiques, et un langage théâtral toujours nouveau. Plus que jamais, le théâtre sert de lieu de rencontre avec les autres arts. Danse, musique font partie intégrante des spectacles. Le travail actuel prolonge celui des premiers happenings. Des images se créent, images visuelles et sonores, reconstituant des événements, construisant une iconographie. La musique est tour à tour chantée, jouée et enregistrée. On y adjoint souvent une bande son ou une voix off.Avec Meredith Monk, le registre de la voix va de la mélopée au cri (Paris/Chaconne , Concert pour une voix et un verre [1974], Quarry [1976], Atlas [1991]); chaque voyage «de la voix et du mouvement» propose un voyage spirituel. Avec Bob Wilson (A Letter for Queen Victoria [1974], Einstein on the Beach [1976 et 1992]), le geste se décompose dans une lenteur infinie, le texte est fragmenté; tout est dédramatisé et cependant investi d’intensité lyrique. Après l’échec de Civil Wars (1983-1984), Wilson collabore étroitement avec Heiner Müller (Hamlet Machine , 1986). Yvonne Rainer impose elle aussi à ses scénarios une chorégraphie rigoureuse. Le théâtre hystérico-ontologique de Richard Foreman combine effets sonores et visuels pour révéler «ce qui se passe» entre les choses et entre les mots. Morcelant espace et temps, Foreman manipule à son gré les perceptions des spectateurs, qui doivent apprendre à voir et à entendre; il exige la docilité de ses acteurs, qui doivent exécuter les sons et les gestes prescrits (Ida-Eyed [1969], Classical Therapy or a Week Under Influence [1973], Le Livre des splendeurs [1976], Film is Evil, Radio is Good [1987], Lava [1989]).De même que les grandes compagnies des années soixante sont venues présenter leur travail en Europe, et tout particulièrement en France lors des festivals de Nancy, d’Avignon et de Paris, les nouveaux créateurs du théâtre américain exportent volontiers leurs spectacles; bien des créations ont eu lieu à Paris. Chaque année se trouve ainsi démontrée la vitalité de ce théâtre d’avant-garde. La scène officielle, qui continue de monter les grands spectacles commerciaux, s’intéresse de plus en plus aux expériences étonnantes que proposent ces marginaux (ainsi, en 1976, Foreman a été invité à monter un Opéra de Quat’ Sous au Lincoln, Don Giovanni à l’opéra de Lille en 1991 et Wilson a donné plusieurs opéras dans les plus grandes salles lyriques). En dépit de la crise qu’on a constatée et du sombre avenir qu’on lui prédit, le théâtre américain est encore bien vivant, non seulement aux États-Unis, mais sur la scène internationale.Le cinéma contemporainDès 1962, la 20th Century Fox, affaiblie par le gouffre financier de Cléopâtre , accuse un déficit record de 40 millions de dollars, tandis que la fréquentation a été plus que divisée par trois depuis 1946, pour un parc de salles réduit de moitié. La crise atteindra son maximum en 1969-1970, après un très provisoire redressement des «Major Companies» dans la voie ouverte par Darryl Zanuck qui, à peine arrivé à la tête de la Fox, s’était empressé de louer à la télévision un stock de deux cents films. On crie à la fin de Hollywood, mais le pouvoir change simplement de mains. L’intérêt des banques pour le cinéma n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que les sept Majors soient convoitées puis contrôlées en l’espace de vingt ans par des conglomérats financiers et industriels pour lesquels le cinéma ne représente qu’une activité parmi bien d’autres, depuis Universal, qui devient en 1962 une branche de Music Corporation of America, jusqu’au rachat de Columbia par Coca-Cola en 1982, en passant par Paramount, United Artists, Warner Bros, M.G.M. et Fox.Une nouvelle donne économiqueLe temps des Goldwyn, Thalberg, Zukor, moguls tyranniques mais aventureux et passionnés, est passé, au profit des purs hommes de finance. L’intérêt des conglomérats se porte ainsi sur les biens immobiliers: dès son arrivée à la Fox en 1981, le magnat du pétrole Marvin Davies envisage le déménagement du studio pour bâtir à son emplacement des immeubles de luxe. L’enjeu est également la filmothèque de chaque firme (43 p. 100 du prix d’achat de Columbia par Coca-Cola), mine d’or pour les télévisions, en particulier depuis l’explosion de la télévision payante par câble et à péage, qui débute en 1972 avec Home Box Office, comme pour la «télévision à domicile», par vidéocassettes – le Sony Betamax apparaît en 1975; les premiers films sur cassette sont vendus en 1977 – et vidéodisques (dès 1980). Depuis 1988, les revenus des distributions vidéo dépassent les recettes en salles.C’est aussi le vieux modèle de la production des grands studios hollywoodiens qui est remis en cause. United Artists, studio sans studios, employant un minimum de permanents, n’est plus une exception. À la production en série se substitue une politique de films moins nombreux et à gros budget. Chaque production est un «deal», calculé au moindre risque: marketing (dès la préparation du film) et sneak previews (projections tests) se développent. À côté des in-house productions (films entièrement produits par un studio, moins nombreux mais au financement plus lourd), les pickups , dont le studio se contente d’assurer la diffusion, sont montés par un producteur free-lance qui réunit sujet (droits littéraires), scénaristes, stars (représentées par leurs agents), début de financement et réalisateur. S’il conserve une part de l’esprit d’entreprise d’antan, il n’a souvent d’«indépendant» que le nom et demeure entièrement tributaire des décisions des grands studios, qui contrôlent les clés de voûte du système, garanties bancaires et circuits de distribution, sans oublier cette nouveauté des années quatre-vingt, reprise des studios Disney, que sont les droits sur les «produits dérivés»: figurines, t-shirts, pin’s, à l’effigie d’E.T. ou de Batman. Chacun des éléments mis en jeu dans le package deal doit désormais être monnayable. Le cinéma américain fut de tout temps une industrie, mais le conseil d’administration des conglomérats ne connaît qu’une seule règle: «Vous ne valez que ce que vaut votre dernier film.» Les carrières se défont (Elliott Gould) aussi vite qu’elles se font (Tim Burton).Superproductions «sequels», «remakes» et «wonderboys»Dans un tel système, l’idéal est le blockbuster , initialement film qui rapporte gros pour une mise de fonds minimale, à l’exemple d’Easy Rider (1969), de Dennis Hopper, ou d’American Graffiti (1973), de George Lucas. À défaut, les Majors jouent la carte traditionnelle de la superproduction dès le milieu des années soixante-dix, à la suite des succès d’Airport (1970) et de L’Aventure du Poséidon (1972), qui conduisent à un doublement des coûts moyens de production en moins de dix ans. Ce succès induit la série des «films catastrophes», qui culmine avec le triomphe de La Tour infernale (1975). Lorsque, en 1972, la Paramount invente un nouveau mode de distribution massive accompagné d’un énorme budget publicitaire avec Le Parrain , de Francis Ford Coppola, elle ouvre l’ère des records. Placé d’emblée en tête du box-office de tous les temps, le film sera dépassé dès l’année suivante par The Exorcist puis Jaws (1976), Star Wars (1977) et enfin le phénomène E.T . (1982).On ne saurait s’étonner que ces vingt dernières années du cinéma américain aient été celles des sequels . Un succès entraîne sa «suite»: de The Exorcist à Star Trek , Rocky , Rambo ou la série des Indiana Jones ... Phénomène économique, mais tout autant esthétique et culturel. Hollywood revisite les genres dans un recyclage destiné à assurer sa survie et celle de ses mythes: A Star Is Born (1976), King Kong I (1976), Tarzan, l’homme-sing e (1981), Greystoke (La Légende de Tarzan , 1984), Le facteur sonne toujours deux fois (1981), jusqu’à deux versions de Robin des bois en 1992... Pour d’autres commence pourtant un autre type de réappropriation de l’héritage. C’est ainsi que Hitchcock (Sisters , 1973, Obsessions , 1975, Carrie , 1976, The Fury , 1978, sous la direction de Brian DePalma) ou Hawks (Scarface , de DePalma, 1983, comme The Fog , 1980, Escape from New York , 1981, The Thing , 1982, de John Carpenter) inspirent une démarche qui profite de l’assouplissement de la censure depuis 1968 (remplacée par un système de cotes) pour dévoiler les ressorts cachés, le refoulé des genres (particulièrement sexe et violence), comme le fit Sam Peckinpah avec La Horde sauvage , dès 1969.Les cinéastes de la génération précédente s’accommodent mal de cette nouvelle donne économique et s’accrochent à des valeurs dépassées, de l’utopie à la critique sociale. Malgré l’ambition de Little Big Man (1970) pour Arthur Penn, une critique au vitriol du nouveau Hollywood pour Robert Altman (The Player , 1992), d’énormes succès commerciaux (Out of Africa , 1985) pour Sydney Pollack, les promesses de renouveau entrevues dans les sixties chez un Dennis Hopper, un Tom Gries, un Monte Hellman se révèlent sans suite.Il est significatif que la génération des wonderboys , bien plus représentatifs de l’ère moderne du cinéma américain, les Brian DePalma, Martin Scorsese, George Lucas, Steven Spielberg et leurs émules (Robert Zemeckis, Ron Howard...), sans oublier les scénaristes (et parfois réalisateurs) John Millius, Robert Benton, Alan Rudolph, Paul Schrader, Oliver Stone, après les illusions de l’indépendance dans les années soixante-dix, se retrouvent à la fin des années quatre-vingt sous la coupe des studios. Souvent issus d’écoles de cinéma telles que la célèbre U.C.L.A. de Los Angeles, ils se situent au carrefour des influences «auteuristes» européennes et d’un savoir-faire hors pair qui leur permet de s’adapter aisément aux nouveaux modes de production. Lucas en est l’exemple type: outre la performance technologique et les effets spéciaux réalisés par sa firme Industrial Light & Magic, il n’est guère facile de déceler un style commun entre l’ambitieux THX 1138 (1971), American Graffiti et Star Wars . Le producteur prend le pas sur l’auteur, comme chez le pourtant prolifique Steven Spielberg (Duel , 1971, Rencontres du troisième type , 1977, E.T ., 1982, The Color Purple , 1985, Hook , 1991) dont les œuvres de pure virtuosité appartiennent déjà au passé.Typique de cette génération est Francis Ford Coppola, écartelé entre une vocation d’auteur et le désir de recréer le Hollywood d’antan avec son studio American Zoetrope, fondé en 1968 à Los Angeles et revendu en 1983. Il se révèle un véritable aventurier et expérimentateur; avec tous les risques d’échec que cela comporte (One from the Heart , 1982, Rumble Fish , 1983), comme de quasi-commandes plus qu’honorablement acquittées (Peggy Sue Got Married , 1986, Tucker , 1988, Le Parrain III , 1990). De son côté, Martin Scorsese développe une œuvre marquée par le puritanisme américain (renforcé par ses origines italiennes) et par la violence, en particulier dans Taxi Driver (1976) et Raging Bull (1979), comme par les grands genres hollywoodiens que sont le film policier (Boxcar Bertha , 1972), la biographie musicale (New York, New York , 1977)... Mais, avec la décennie quatre-vingt, la force et l’originalité de son œuvre se dilue.Le passage du western à la science-fictionFait capital, le western, qu’André Bazin qualifiait de «cinéma américain par excellence», tend à disparaître comme genre de référence. Les westerns des années soixante-dix et quatre-vingt sont d’abord marqués par la mauvaise conscience américaine – liée à l’échec au Vietnam, qu’illustrent des films tels qu’Apocalypse Now (1979) de Coppola ou The Deer Hunter (1978) de Michael Cimino – et sont centrés sur les marginaux du western classique, des Indiens de Soldier Blue de Ralph Nelson (1970) ou Danse avec les loups (1991) de Kevin Costner aux immigrants minoritaires du superbe Heaven’s Gate de Cimino (1980), dont l’innovation sur le plan du récit dérouta au point d’en faire le plus gros échec commercial de la période. Clint Eastwood, acteur (chez Sergio Leone) et réalisateur, joue de la tradition en créant un héros légendaire, baroque et excessif (Josey Wales hors-la-loi , 1976, Pale Rider , 1985, Impitoyable , 1992). Mais il place le spectateur devant un miroir qui transforme le rêve américain en cauchemar. Le genre dominant devient le film fantastique, d’horreur ou de science-fiction. Il s’agit là d’une évolution capitale dans le cinéma américain à l’époque de l’image de synthèse et digitale, dans une démarche qui s’apparente à la fois à l’hyperréalisme, au pop art et à l’op art, mais également aux jeux vidéo. L’espace et le corps qui l’occupe perdent peu à peu leur référent, cet espace américain et son histoire qui fondaient justement le western. Dans la postérité directe du Stanley Kubrick de 2001: l’Odyssée de l’espace (1968), Orange mécanique (1971) et Shining (1980), comme dans celle du Coppola de One from the Heart et de Rumble Fish , se développe une réflexion sur le devenir technologique de l’humain à travers l’imagerie directement adressée à l’inconscient du spectateur d’un David Lynch (Eraserhead , 1977 , Elephant Man , 1980, Sailor et Lula , 1989, Twin Peaks , 1989-1992), la désincarnation technologique d’un James Cameron (Terminator 1 , 1984, et 2 , 1991, Abyss , 1989), voire d’un Joe Dante sur le mode parodique (Gremlins , 1984) ou d’un Tim Burton sur le mode faussement naïf (Edward aux mains d’argent , 1990, Batman I et II , 1989 et 1992). L’échec de Tron , de Steven Lisberger (1982), tentative de simulation absolue déconnectée de tout réel des studios Disney, montre les limites de cette évolution et son enjeu, parfaitement désigné dans Qui veut la peau de Roger Rabbit? de Robert Zemeckis (1988), où se pose la question de la frontière entre humains et personnages synthétiques de dessin animé. En poussant ainsi le cinéma à ses limites (et au-delà) à l’ère de l’image digitale, que reste-t-il de l’humanité? Sur des modes différents, et même s’ils pratiquent un cinéma d’apparence plus quotidienne, la plupart des jeunes cinéastes américains marquants d’aujourd’hui, Joel et Ethan Coen (Miller’s Crossing , 1989, Barton Fink , 1990), Jonathan Demme (Le Silence des agneaux , 1991), Hal Hartley (Trust Me , 1991, Simple Men , 1992), Sam Raimi (Darkman , 1990), Rob Reiner (Quand Harry rencontre Sally , 1989), Steven Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo , 1989) ou Gus Van Sant (My Own Private Idaho , 1991), ne peuvent échapper à cette question capitale.Dans les années soixante, l’espoir mis dans les expériences marginales de l’underground (les frères Mekas, Andy Warhol, Paul Morissey, Kenneth Anger, Stan Brakhage), comme dans le documentaire inspiré du cinéma-vérité (Richard Leacock, Frederic Wiseman) ou militant (Emile De Antonio, Barbara Kopple), ne s’est pas vraiment concrétisé, sinon par l’émergence d’un cinéma noir dont Spike Lee est le représentant le plus original (Do the Right Thing , 1989, Malcolm X , 1992). Le seul véritable cinéaste indépendant et radicalement en marge du système à s’être imposé par ses œuvres plus que par le succès est John Cassavetes (Shadows , 1957, Faces , 1968, Une femme sous influence , 1975, Love Streams , 1984), dont les films tournent radicalement le dos à toute tendance technologique. C’est également l’humain qui est au cœur de l’humour sophistiqué, introspectif et psychanalytique de Woody Allen qui travaille, lui, en plein système, et dont le succès ne fait que croître (Annie Hall , 1977, Manhattan , 1979, Hannah et ses sœurs , 1986, Crimes et délits , 1989, Maris et femmes , 1992). Tant chez Cassavetes que chez Allen ou Eastwood, c’est le corps qui revient au centre du cinéma américain. Retour aux origines du cinéma tout court? Lorsque au début de la décennie quatre-vingt-dix près de cent cinéastes réalisent en une année leur premier film aux États-Unis, toutes les hypothèses demeurent ouvertes.
Encyclopédie Universelle. 2012.